“Les RH du XXIe siècle resteront à visage humain”

“Les Ressources humaines sont, comme bien d’autres domaines d’activités, concernées par l’émergence de l’intelligence artificielle.
Cette évolution irréversible ne doit pourtant pas faire passer l’Homme au second plan, défend une spécialiste du secteur.”

« Ce n’est pas un gadget»

Le logiciel VRIST Job Interview Training (JIT), simulateur d’emploi 4.0, a été mis au point par Marianne Schmid Mast, professeure ordinaire de comportement organisationnel à la HEC de l’Université de Lausanne. Di Marino Consulting l’utilise à satisfaction. Le principe ? Il s’agit, pour toute personne souhaitant un nouvel emploi, de passer un entretien d’embauche virtuel tout en étant accompagné par un coach. Au travers de différentes mises en condition, le candidat peut se familiariser avec les pratiques actuelles du processus de recrutement telles que les entretiens par Skype et les présentations sous forme de vidéos.

Pour Maria Anna Di Marino, la répétition des exercices et leur analyse avec un coach permettent de diminuer l’appréhension liée à un tel entretien. Il n’y a plus d’effet de surprise et donc moins de stress : « Le candidat est beaucoup plus lucide en temps réel. »

Autre point positif du système : le fait de se voir parler, bouger et réagir aux questions permet de voir l’image que le candidat renvoie. « Ce n’est pas un gadget, poursuit-elle. Le JIT a été validé scientifiquement. Nous l’avons testé pendant quatre ans, et il est valable. C’est cette dimension qui nous a fait adhérer à cet outil. »

« J’ai dédié toute ma vie professionnelle, d’une  manière ou d’une autre, à l’être humain. » Et  les évolutions technologiques n’y changeront  rien, si l’on en croit Maria Anna Di Marino,  responsable Business Development chez Di Marino Consulting. Cette société, active dans la gestion de carrière, les services RH et la formation, regroupe des spécialistes expérimentés à Lausanne. Pour cette experte des Ressources humaines, l’intelligence artificielle (IA) et les algorithmes sont des aides à la décision pour les RH : « L’humain doit demeurer au centre. »

Cette profession de foi, la présidente d’honneur de HR Vaud, l’association professionnelle vaudoise des RH, l’exprime dans un secteur qui a vécu de grands bouleversements bien avant l’émergence de l’IA. Jusque dans les années 1990, le chef du personnel s’occupait de recruter et d’accompagner les collaborateurs tout au long de leur vie professionnelle, car la grande majorité des employés restaient dans la même entreprise. Les critères de sélection étaient fidélité et stabilité. Au point, se souvient Maria Anna Di Marino, qu’en voyant un CV où figuraient deux emplois, les recruteurs jugeaient alors le candidat instable…

La crise des années 1990, à la fois conjoncturelle et structurelle, a tout chamboulé. La Suisse est passée d’une situation de quasi plein-emploi à un chômage important. Le canton de Vaud a même connu un taux de 7 % de demandeurs d’emploi par rapport à la population active. L’aspect accompagnement a alors explosé, mais dans son volet licenciement. Des sociétés externes ont alors été mandatées pour effectuer ce travail.

La profession des RH a ainsi dû se remettre en question. Elle s’est davantage intéressée au duo savoir-être et savoir-faire des candidats, pendant que le domaine se complexifiait : sont alors apparus dans les équipes des psychologues du travail, des juristes, des spécialistes en IT, en formation, etc. « On connaît maintenant une mutation plutôt inverse, note Maria Anna Di Marino. Avec l’IA et les algorithmes, il est clair que toutes les tâches de présélection et de sélection, jusqu’alors confiées à des assistants, vont disparaître. » Elle estime cependant que le cœur du métier va rester ; seules les tâches administratives seront déléguées à l’IA.

Important pour les demandeurs d’emploi

Ces nouvelles technologies gardent tout leur sens du point de vue des demandeurs d’emploi, poursuit la spécialiste : « Les préparer à cette évolution relève de notre mission », glisse-t-elle. La postulation 4.0 implique aujourd’hui de savoir répondre à une annonce en intégrant les bons mots-clés pour que son dossier soit retenu, de faire des CV-vidéos et d’être à l’aise devant la caméra pour se préparer. « La connaissance de soi est très importante, poursuit-elle. Avoir conscience de ses points forts, de ses compétences, c’est essentiel. Qu’est-ce que l’on apporte à l’entreprise qui veut nous recruter ? Il faut savoir l’expliquer. Savoir utiliser Skype, par exemple, c’est l’affaire de chacun. C’est pourquoi toutes ces nouvelles technologies interviennent dans l’entier du processus de recherche d’emploi : une des étapes cruciales est l’entretien d’embauche. Une bonne préparation est indispensable. »

Ces nouvelles techniques, quoique prometteuses, n’en recèlent pas moins quelques dangers. En appliquant strictement les critères définis dans une annonce, l’IA peut passer à côté d’une bonne candidature si cette dernière dispose d’autres compétences qui pourraient convenir. Pour Maria Anna Di Marino, l’évolution technologique peut conduire à des dérives. « Il faut donc pouvoir disposer d’outils qui sont validés scientifiquement. C’est le cas du Job Interview Training. Il faut garder un esprit critique. »

S’agit-il d’une évolution irréversible ? « On ne reviendra pas en arrière, assure la responsable Business Development chez Di Marino Consulting. L’IA va clairement chambouler tous les domaines d’activités, à commencer par le recrutement et le développement des compétences. Mais il s’agira de rester vigilant, de légiférer, d’avoir des garde-fous. »

Créer du sens

Au cours des dernières décennies, nous sommes passés du chef du personnel aux RH. Vu l’évolution, doit-on craindre l’apparition de RI, ressources inhumaines, donc robotisées ? « Je crois que le RH devra veiller à créer du sens, poursuit-elle. Cependant, le défi sera d’accompagner ces changements et de faire en sorte que ces nouvelles technologies restent au service de l’être humain, et non pas que l’humain devienne au service des technologies », conclut Maria Anna Di Marino.

Article publié dans le magazine “Demain”

Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie

N°4 – Avril 2019