Interview de Marianne Schmid Mast

Experte en comportements organisationnels

Quand vous avez vous-même à parler devant un auditoire ou une audience quelconque, êtes-vous toujours dans la maîtrise « consciente » de la structure de votre discours, de votre verbal et de votre comportement non verbal et dans la gestion de votre stress ? A un niveau donné, tel que le vôtre, est-ce que tout cela en deviendrait automatique ou alors naturel ?

Il faut savoir que comme étudiante à l’université lorsque je devais donner une présentation, je souffrais beaucoup du trac et j’avais une mauvaise gestion du temps lors de mes présentations. Dans la profession académique, une bonne partie de notre temps, nous la passons à parler en public, lors de l’enseignement et lors de présentations scientifiques à des congrès. J’avais donc une abondance d’occasions de pratiquer, d’apprendre et de m’améliorer. Aujourd’hui je donne des cours sur comment parler en public aux autres car j’ai moi-même fait l’expérience qu’on pouvait apprendre à le faire. Mon objectif est de donner à ceux qui veulent améliorer leur prise de parole en public les outils pour y parvenir.

Mon activité de recherche dans le domaine des interactions sociales et de la communication ainsi que mon expertise en observation du comportement et en langage du corps m’ont permis de mettre sur pied un programme de formation visant à apprendre aux participants comment structurer un discours, comment le rendre plus charismatique du point de vue verbal, comment gérer leur stress lors de présentations et comment optimiser leur comportement non verbal.

Plus on s’entraîne, plus les choses deviennent automatiques. Mais pour y arriver, il faut sortir d’abord de sa zone de confort pour expérimenter de nouveaux comportements et ensuite adopter ceux qui fonctionnent bien. L’idée est de développer des gens qui parlent de manière authentique.

Quand je donne des présentations, la structure du discours est toujours présente dans ma tête, je sais ce que j’ai à dire et pour des passages importants, je sais aussi comment je vais les dire. Le non verbal est plus difficile à contrôler durant une présentation et c’est pour cette raison qu’il faut entraîner son comportement non verbal en amont pour que les gestes, le déplacement, la posture, l’expression du visage et le regard soient maîtrisés et se mettent en place de manière automatique. Notre formation “Parler en public” met un grand accent sur cet apprentissage du comportement non verbal.

Pour maîtriser le stress de la prise de parole vous recommandez l’ajout d’un stress supplémentaire en entraînement. Pouvez-vous dire en quoi cela se révèle particulièrement efficace ?

Je conseille d’ajouter un stress supplémentaire lors de l’entraînement de la prise de parole en public. Pourquoi ? Si vous avez peur de quelque chose, par exemple des araignées, la seule façon de surmonter la peur, c’est de s’exposer peu à peu à l’objet qui fait peur et de faire l’expérience qu’en fait, il n’y a rien de grave qui arrive et que la peur n’est donc pas justifiée. Par ce sentiment de maîtrise, l’objet perd son caractère effrayant et ne provoque plus d’angoisse. De la même manière, faire face au trac est le seul moyen de le surmonter.

Nous utilisons cette idée de stress ajouté lors des entraînements à « Parler en public ». On augmente artificiellement le stress ressenti durant la prise de parole en induisant la peur du vide. Pour que cela ne soit pas dangereux, nous utilisons des simulations en réalité virtuelle. Les participants s’entraînent donc à donner leur présentation sur une planche au bord d’un précipice. Dans cette situation, nous travaillons avec les participants pour les amener à maîtriser leur stress (par exemple la respiration, l’imagerie mentale, le comportement non verbal) et perfectionner leur comportement non verbal. Une fois que le stress est sous contrôle, le public perd sa connotation angoissante. La personne qui a fait l’expérience de maîtriser son stress dans une telle situation en aura moins la fois où elle sera confrontée à parler en public dans la réalité.

Selon vous, à partir d’un certain âge, est-il encore possible de développer ses compétences interpersonnelles ? La réalité virtuelle peut-elle soutenir le développement de compétences sociales aussi pour des gens âgés de plus de 50 ans qui ne sont pas des « digital natives » ?

Bien sûr – on a plus d’expérience ce qui peut aider car il faut savoir que les compétences interpersonnelles s’apprennent. Il est vrai que certaines personnes en possèdent plus que d’autres mais il est vrai aussi que tout le monde peut améliorer ses compétences interpersonnelles. Pour ce faire il est important d’avoir un feedback et un expert qui explique à quoi il faut faire attention ; il s’agit d’un apprentissage guidé par un expert. Si on veut, par exemple, augmenter la capacité d’une personne à correctement reconnaître les émotions d’autrui, il faut expliquer à cette personne à quelle partie du visage faire attention. Pour reconnaître la colère, il faut surtout regarder la région des yeux tandis que pour reconnaître la fierté il faut plus regarder le corps et moins le visage.

J’utilise la réalité virtuelle pour l’entraînement de compétences sociales. Bien qu’on associe les nouveaux outils technologiques comme la réalité virtuelle plus avec les jeunes générations, ces outils sont efficaces pour tout le monde. Le pouvoir de la technologie est le fait d’immerger les participants dans un monde virtuel avec des humains virtuels (par exemple un public virtuel). L’immersion provoque le sentiment d’être là dans la situation. La réalité virtuelle est une expérience émotionnelle et holistique et il faut l’expérimenter pour pouvoir apprécier à quel degré on est pris dedans. Mais en même temps, le fait de savoir qu’il ne s’agit que d’avatars qui ne sont pas réels et qui ne peuvent pas juger ma performance aide à gérer le stress que la situation de prise de parole en public suscite. Cette double réalité est l’un des avantages que l’entraînement avec la réalité virtuelle offre.